De plus en plus d'entreprises ou de produits prétendent être neutres en carbone. Cependant, ces affirmations sont de plus en plus contestées et remises en question.
L'objectif de cet article est d'expliquer les limites de ces affirmations et la manière dont une entreprise ou un produit peut contribuer à l'effort mondial pour atteindre la neutralité carbone.
Qu'est-ce que la neutralité carbone ?
💡 La neutralité carbone, également connue sous le terme "zéro émission nette" ou "net zéro", se définit par la capacité à compenser la quantité de carbone émise par une quantité équivalente séquestrée, visant à maintenir stable la concentration de carbone dans l'atmosphère pour limiter le réchauffement climatique.
Atteindre une neutralité carbone à l'échelle mondiale nécessite une double approche : réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre, provenant tant des énergies fossiles que de sources biologiques, et parallèlement, renforcer les capacités de captation de carbone à travers des puits (forêts, sols et éventuellement solutions technologiques) qui permettent la séquestration du carbone.
L'Agence Française de l'Environnement (ADEME) soutient que la neutralité carbone à principalement du sens à l'échelle mondiale et pour les États, car elle implique un équilibre entre les émissions et les absorptions de CO2 à grande échelle. Les territoires plus petits et les entreprises devraient plutôt se concentrer sur la manière dont ils peuvent contribuer à cet objectif mondial, plutôt que de rechercher leur propre neutralité carbone. Cela est dû à des considérations d'équité et d'efficacité, et à la nécessité d'une réduction drastique des émissions de GES pour atteindre l'objectif mondial [1].
Pourquoi les entreprises ne devraient-elles pas se déclarer neutres en carbone ?
Depuis l'Accord de Paris, les États se coordonnent pour atteindre la neutralité carbone d'ici à la seconde moitié du XXIe siècle en traduisant cet objectif mondial par le déploiement de stratégies nationales. Cependant, il est important de se rappeler que la neutralité carbone, telle que définie ci-dessus, ne peut pas être directement appliquée à une autre échelle (territoire infranational, entreprise, association, communauté, produit ou service, etc.).
L'avis de l'ADEME explique que tenter d'appliquer la neutralité carbone (équilibre entre les émissions et la séquestration) à une autre échelle peut donner lieu à des biais méthodologiques et éthiques [1] :
Non-additionnalité des procédures : Si une entreprise voulait compenser ses émissions par des puits de carbone, elle devrait se concentrer uniquement sur ses émissions directes. En effet, l'inclusion des émissions directes et indirectes dans cet équilibre augmenterait excessivement le besoin de puits de carbone, car les émissions indirectes sont prises en compte par plusieurs entités et donc comptées plusieurs fois. Cependant, limiter la neutralité carbone aux émissions directes ignorerait une partie importante de l'impact environnemental des entreprises, puisque la majorité de leurs émissions se trouve généralement dans les émissions indirectes, ou "scope 3".
Équité entre les acteurs : Réduire l'échelle aggraverait les inégalités dans l'équilibrage entre émissions et capacités de séquestration. Par exemple, sans une approche nationale de la neutralité carbone, un territoire riche en forêts pourrait se reposer sur ses puits de carbone sans avoir besoin de politiques écologiques ambitieuses, tandis qu'un territoire pauvre en forêts serait confronté à la nécessité de fournir beaucoup plus d'efforts de réduction. Dans ce cas, le territoire riche en forêts devrait essayer d'être carbone-négatif au lieu d'être simplement "neutre".
Passivité : En cherchant à atteindre la neutralité carbone à l'échelle d'une entreprise, d'un produit, d'un territoire infranational, etc., les acteurs pourraient être tentés d'opter pour des actions de compensation directement accessibles à faible coût, au détriment d'une réduction réelle de leurs propres émissions et de leur impact sur le changement climatique.
Pour ces raisons, en 2023, les membres du Parlement Européen ont interdit l'utilisation des termes « écologique », « naturel », « biodégradable », « climatiquement neutre » ou « éco » lorsque aucune preuve n'a été fournie. L'utilisation de crédits carbone pour justifier ces affirmations a également interdit [2].
Des termes comme « climatiquement neutre » ou « climatiquement positif », qui reposent sur la compensation, seront interdits dans l'UE d'ici à 2026 dans le cadre d'une campagne contre les allégations environnementales trompeuses.
Comme alternative à ces affirmations, la Net Zéro Initiative (NZI) [3] suggère un changement de paradigme en passant de « neutre en carbone » à « contribue à la neutralité carbone ». L'objectif est donc différent. L'entreprise ne doit plus tenter d'atteindre la neutralité carbone de manière immédiate et isolée, mais inscrire sa performance climatique dans le contexte de la neutralité globale.
Comment contribuer à la neutralité carbone mondiale ?
Pour contribuer à la neutralité carbone mondiale, la NZI recommande de travailler sur trois piliers :
Réduire les émissions de l'entreprise, émissions induites directes et indirectes. En savoir plus sur les émissions évitées ici.
Réduire les émissions des autres, émissions évitées grâce aux produits et services vendus par l'entreprise.
Retirer le CO2 de l'atmosphère, émissions négatives, en absorbant des émissions dans la chaîne de valeur de l'entreprise, ou en finançant des projets de séquestration carbone hors de la chaîne de valeur de l'entreprise.
Ces actions doivent se dérouler dans le cadre d'une stratégie carbone alignée sur l'Accord de Paris.
Contribution financière
Un moyen de soutenir l'approche recommandée par la NZI est de s'engager sur le marché volontaire du carbone et d'acheter des crédits. Ce n'est pas un processus de « compensation » (ou « offset » en anglais), car ces crédits ne compensent pas directement les émissions induites par l'entreprise ; un terme plus approprié et mis en avant par l'ADEME et la NZI serait alors celui de « contribution financière ».
En savoir plus sur les projets de « contribution » carbone ici.
Ressources
[1] ADEME, [Avis de l'ADEME] Tous les acteurs doivent agir collectivement pour la neutralité carbone, mais aucun acteur ne devrait se revendiquer neutre en carbone, 2021. (link)
[2] The Guardian, L'UE interdit les déclarations environnementales "trompeuses" fondées sur la compensation, 2024 (link)
[3] Carbone4, Net-Zero Initiative, 2020 (link)